L’insuffisance d’actif mise à la charge d’un dirigeant de société en liquidation, qui était en fonction à la date du jugement d’ouverture, s’apprécie au jour où le juge statue sur la sanction, sans tenir compte des manquements du liquidateur dans sa réalisation des actifs.
Le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire peut être condamné à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif de la société s’il a commis une ou plusieurs fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance (C.com. art. L 651-2).
Une cour d’appel avait rejeté toute condamnation à combler le passif contre le dirigeant d’une société en liquidation judicaire qui exploitait une scierie, retenant qu’il n’existait aucune insuffisance d’actif à la date d’ouverture de la liquidation judiciaire, notamment pour les raisons suivantes : l’existence de l’insuffisance devait être constatée par référence à la gestion du dirigeant antérieure au jugement d’ouverture et s’apprécier à la date de cessation de ses fonctions ; à cette date, le passif admis sur la liste des créances antérieures au jugement d’ouverture s’élevait à 425 020 € ; l’actif de la société devait s’apprécier à la date d’ouverture de la liquidation judiciaire et, à cette date, les stocks de sciage sur parc à bois avaient une valeur de retrait de 822 050 €, à laquelle s’ajoutait la valeur du stock de bois sous hangar de 1 094 807 € ; une partie des stocks avait été détruite par la suite dans un incendie survenu dans les locaux de la société mais le stock subsistant était encore estimé à une valeur de retrait de 822 050 € ; le dirigeant poursuivi n’était plus en fonction après l’incendie ; l’insuffisance d’actif n’était apparue qu’après la réalisation des biens organisée par le liquidateur, celle-ci ne s’étant pas passée dans de bonnes conditions puisque la vente aux enchères publiques du stock n’avait rapporté que 66 073 €, ce qui était très éloigné de la valeur estimée après l’incendie.
Cassation de l’arrêt par la Haute juridiction : en application de l’article L 651-2 précité, un dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif, et il peut être condamné à supporter tout ou partie de celle-ci, même si sa faute n’est à l’origine que d’une partie de cette insuffisance. Il n’y a donc pas lieu, pour apprécier la faute de gestion du dirigeant, de rechercher les conditions dans lesquelles le liquidateur a réalisé les actifs de la société débitrice, les éventuels manquements du liquidateur n’étant pas de nature à exonérer le dirigeant de son obligation de contribuer à l’insuffisance d’actif constatée.
En l’espèce, le dirigeant étant en fonction à la date du jugement d’ouverture, l’existence et le montant de l’insuffisance d’actif devaient être appréciés au jour où la cour d’appel statuait, sans tenir compte des conditions dans lesquelles le liquidateur avait réalisé les actifs de la société, dès lors que ses éventuels manquements à ce titre n’étaient pas de nature à exonérer le dirigeant de son obligation de contribuer à l’insuffisance d’actif constatée.
A noter :
L’arrêt commenté rappelle un certain nombre de principes déjà posés par les tribunaux, tout en précisant, pour la première fois à notre connaissance, que les manquements du liquidateur judicaire lors de la réalisation des actifs de la société sont sans effet sur une éventuelle condamnation du dirigeant à combler le passif, ce dernier pouvant être sanctionné dès lors qu’il existe une insuffisance d’actif, peu importe dans quelle proportion.
En effet, il est de jurisprudence constante que le dirigeant d’une société en liquidation judiciaire peut être condamné à supporter la totalité de l’insuffisance d’actif même s’il a commis une seule faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance ( Cass. com. 15-12-2009 n°08-21.906 FS-PBRI : RJDA 3/10 n°275, 2e esp. ; Cass. com. 31-5-2011 n°09-13.975 F-PB : RJDA 8-9/11 n°725 ; Cass. com. 10-1-2012 n°10-28.067 F-D : RJDA 4/12 n°427) ou si sa faute n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif (Cass. com. 20-4-2017 n° 15-23.600 F-D : RJDA 8-9/17 n°575).
Concernant l’insuffisance d’actif à prendre en compte, il est admis que les dirigeants ne peuvent être condamnés à combler le passif qu’en présence d’une insuffisance d’actif dont l’existence et le montant sont appréciés au jour où le tribunal statue sur la sanction (Cass. com. 30-1-1990 : Bull. civ. IV n°30 ; Cass. com. 16-3-1999 : RJDA 5/99 n°585 ; Cass. com. 7-3-2006 n°300 : RJDA 1/07 n°79). Lorsque le dirigeant poursuivi a quitté ses fonctions avant l’ouverture de la liquidation judiciaire, l’insuffisance d ‘actif qui peut être mise à sa charge s’apprécie au regard de la situation globale du passif et de l’actif (Cass. com. 24-5-2018 n°17-10.117, précité).
Cass. com. 1-7-2020 n°19-11.849 F-D