Dans le cadre de la transposition de la Directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019, ayant pour but d’harmoniser à terme le droit européen des entreprises en difficulté, l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 est venue réformer notre droit commun de la prévention et des procédures collectives, en particulier sur la sauvegarde, le sort des garants, une procédure spécifique a été créée, la sauvegarde accélérée avec un nouveau statut des classes de créanciers.
Bien que cette réforme ait déjà été exposée, il semble intéressant d’analyser les conséquences pratiques de cette dernière sur la procédure de sauvegarde et sur l’élargissement des nullités de la période suspecte.
I. Adaptation de la procédure de sauvegarde.
Fusion de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde financière accélérée, accélération de la procédure de sauvegarde classique : tels sont les principales mesures de la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 concernant la procédure de sauvegarde.
Ordonnance 2021-1193 du 15-9-2021 : JO 16 texte n°21 ; Rapport au Président de la République : JO 16 texte n°20 ; Décret 2021-1218 du 23-9-201 : Jo 24 texte n°14
Pour rappel, les aménagements apportées aux dispositions du Code de commerce réglementant la sauvegarde par l’ordonnance du 15 septembre 2021 et son décret d’application, entrés en vigueur le 1er octobre 2021 ne sont pas applicables aux procédures en cours à cette date.
- Fusion de la sauvegarde accélérée
Jusqu’à la réforme, il existait, à coté de la sauvegarde « classique », deux variantes : la sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée.
Ces deux dernières étaient réservées aux entreprises déjà engagées dans une conciliation et d’une certaine taille (entreprise établissant des comptes consolidés ou des comptes certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable et atteignant l’un des seuils suivants : 20 salariés ou 3 millions d’euros de chiffres d’affaires hors taxe ou 1.5 million d’euros de total bilan pour le dernier exercice clos).
La variante financière s’adressait aux entreprises essentiellement endettées auprès des établissements de crédits et assimilés, voire d’obligataires et n’avait d’effets qu’à l’égard de ces créanciers.
L’ordonnance vient ainsi fusionner ces deux variantes de la sauvegarde sous le seul vocable de sauvegarde accélérée, tout en laissant la possibilité de limiter la procédure aux établissements de crédit et autres créanciers (C. com. Art. L 628-1 modifié ; art. L 628-9 et L 628-10 abrogés).
Néanmoins, certaines conditions d’ouverture de la sauvegarde accélérée sont maintenues avec quelques aménagements :
- Cessation de paiements ne datant pas de plus de 45 jours ;
- Exigence de comptes certifiés ou établis par les professionnels du chiffre précité ;
- Projet de plan établi dans le cadre d’une conciliation préalable et susceptible d’être adopté par les parties affectées par ce projet (et non plus par les comités de créanciers) à court terme (désormais, 4 mois maximum).
Toutefois, il ressort de l’article L 628-1 modifié du Code de commerce que les conditions relatives aux comptes consolidés et aux seuils d’effectifs, de chiffre d’affaires et de total sont supprimés.
Ces seuils avaient déjà été temporairement écartés par le Gouvernement lorsque, en raison de la crise sanitaire, il avait adapté le droit des entreprises en difficulté (Ord. 2020-596 du 20 mai 2020 art. 3, al. 1 ; BRDA 12/20 inf. 26 n°10).
Ainsi, la sauvegarde accélérée n’a d’effets qu’à l’égard des parties affectées par le projet de plan établi lors de la conciliation (art. L628-6 modifié) et ce projet est soumis au vote des classes de parties affectées, dont la constitution est ici obligatoire.
Comme avant la réforme, il est mis fin à la procédure si l’entreprise était en cessation de paiements depuis plus de 45 jours lors de la demande ou si aucun plan n’est arrêté dans le délai requis (art. L628-8 al.2).
Ainsi n’a pas été pérennisée la faculté, ouverte temporairement au tribunal (Ord. 2020-596 du 20 mai 2020 art. 3, al. 2 ; BRDA 12/20 inf. 26 n°11) de prononcer la mise en redressement ou en liquidation judiciaire de l’entreprise lorsqu’aucun plan n’était adopté dans les délais requis et que les conditions d’ouverture de ces procédures étaient réunies.
L’ordonnance 2021-1193 fait de la sauvegarde accélérée le « cadre de restructuration préventive » dont la directive de 2019 imposait la mise en place par les Etats membres de l’Union européenne (cf. Dir. Ar 4).
Conformément aux exigences du droit européen cette procédure est plus largement ouverte ; elle est rapide ; elle suspend les poursuites contre le débiteur ; elle favorise les nouveaux financements (nos 27s.) ; le plan de restructuration est voté par les « parties affectées » par celui-ci qui sont réunies en classes distinctes selon les intérêts en présence (nos37 s.).
Certains des aménagements précités sont apportés au régime de la sauvegarde classique auquel se réfère partiellement celui de la sauvegarde accélérée mais aussi ceux du redressement et de la liquidation judiciaires, qui sont ainsi affectés par ricochet.
- Réduction de la durée de la période d’observation de la sauvegarde classique
En cas de sauvegarde classique ou de redressement judiciaire, la durée de la période d’observation est de 6 mois, renouvelable une fois pour la même durée, et elle peut être exceptionnellement prolongée de 6 mois supplémentaires à la demande du procureur de la République (soit une durée maximale de 18 mois).
Avec la réforme, la prolongation exceptionnelle est supprimée pour la sauvegarde, qui est donc limitée à 12 mois au plus conformément à l’objectif de rapidité des procédures de restructuration prôné par la directive 2019/1023 (art. 6 et 25, b).
Toutefois, cette suppression ne s’applique pas pour le redressement judiciaire (C. com. Art. L621-3 et L631-7 modifiés).
Pour rappel et contrairement à ce qui est prévu pour la sauvegarde accélérée, la Cour de chambre commerciale de la Cour de cassation a notamment énoncé dans un arrêt que l’éventuel dépassement de la période d’observation n’est pas sanctionné, comme auparavant (Cass. Com 10 juin 2008 n°07-17.043).
« La loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et son décret d’application ne sanctionnent ni le dépassement des délais de la période d’observation ni sa prolongation exceptionnelle en l’absence de demande du procureur de la République. »
- Prise en compte du passif pour l’élaboration du plan
Lorsque les engagements pour le règlement du passif peuvent être établis sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, ils portent sur les créances déclarées admises ou non contestées, ainsi que sur les créances identifiables, notamment celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré (C. com. Art L 626-10, al. 2 modifié).
Déjà admise à titre temporaire en raison de la crise sanitaire (Ord. 2020 du 20 mai 2020 art. 4, al. 3 ; BRDA 12/20 inf. 26 n°13), cette faculté est pérennisée.
Elle permet d’accélérer le déroulement de la période d’observation et l’examen d’un plan sans attendre que toutes les créances déclarées soient vérifiées.
Elle s’applique tant en sauvegarde qu’en redressement judiciaire (art. L 631-19, I).
II. Elargissement des nullités de la période suspecte.
Sont désormais nuls de plein droit, s’ils ont été constitués en période suspecte, toutes les sûretés réelles conventionnelles et tous les droits de rétention conventionnels, à moins qu’ils ne remplacent une sûreté antérieure d’une nature et d’une assiette au moins équivalente.
Ordonnance 2021-1193 du 15-9-2021 : JO 16 texte n°21 ; Rapport au Président de la République : JO 16 texte n°20 ; Décret 2021-1218 du 23-9-2021 : Jo 24 texte n°14.
Avant la réforme, étaient nuls de plein droit les hypothèses (conventionnelles, judicaires ou l’hypothèque légale des époux), les gages ou nantissements constitués pendant la « période suspecte » – autrement dit entre la date de la cession des paiements et le jugement ouvrant la procédure de redressement ou liquidation judiciaire – sur les biens du débiteur pour des dettes antérieures.
L’ordonnance du 15 septembre 2021 élargit la liste des actes ainsi nuls de plein droit, s’ils ont été constitués en période suspecte, en visant toutes les sûretés réelles conventionnelles et tous les droits de rétention conventionnels, à moins qu’ils ne remplacent une sûreté antérieure d’une nature et d’une assiette au moins équivalentes (C. com. Art. L 632-1, I-6° modifié).
A noter : L’exception prévue en cas de substitution d’une sûreté de nature et d’une assiette équivalentes est la consécration d’une solution jurisprudentielle (Cass. Com. 20 janvier 1998 n°95-16.402 ; Cass. Com. 27 septembre 2016 n°15-10.421).
Par ailleurs, l’ordonnance prend en compte le régime particulier de la cession de créance professionnelle par bordereau Dailly : il est fait exception à la règle de nullité de plein droit lorsqu’une telle cession est intervenue, même en période suspecte, en exécution d’un contrat-cadre conclu antérieurement à la date de la cession des paiements (C. com art. L 632-1, I-6° nouveau).
Dans ce cas, il importe peu que le bordereau de cession ait été établi pendant la période suspecte.
A noter : L’ordonnance du 15 septembre 2021 entérine une jurisprudence existante (Cass. Com. 20 février 1996 n°94-10.156. ; Cass. Com. 30 mars 2010 n°08-17.556 ; Cass. Com. 20 janvier 1998 n°95-16.718).
Sources : Editions Francis Lefebvre.
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